Quand j’ai entendu que le gouvernement chinois avait annoncé un système de crédit social, j’ai eu une impression de déjà-vu. Enfin, ce ne sera ni la première ni la dernière fois que notre gouvernement essaie de réguler la société par le biais d’une surveillance centrale et mutuelle. Maintenant, le gouvernement a énormément d’expérience quand il s’agit d’unir les citoyens et de les convaincre de travailler pour n’importe quel objectif central même si ça leur demande de se tourner le dos. Bref, en faisant ainsi, le gouvernement a choisi, encore une fois, la peur et l’oppression pour résoudre les problèmes dont il était lui-même responsable.
En théorie, l’objectif de ce programme est d’augmenter le niveau de confiance au sein de la société parce qu’aujourd’hui, il est très bas. Ayant grandi en Chine, j’ai beaucoup appris sur l’importance de douter. Si un inconnu est trop chaleureux, c’est presque sans doute un arnaqueur. Si quelqu’un a besoin d’aide dans la rue, il faut faire attention parce que c’est probablement aussi un arnaqueur. La liste continue. Donc, je suis d’accord qu’il faut faire quelque chose, mais je me demande si le gouvernement se demande d’abord pourquoi on se fait si peu confiance et pourquoi il y a autant de malveillance. A mon avis, il y a deux raisons principales : notre longue et récente histoire des guerres et les grandes inégalités aujourd’hui. Toutes les deux ont créé les tensions et de la méfiance entre les gens. Si on ne les traite pas, on risque de ne jamais prendre les problèmes à bras-le-corps.
Ça a peut-être l’air surprenant mais on a été en guerre, qu’elle soit internationale ou civile, physique ou culturelle, jusqu’à il y a 40 ans. Au début, les invasions durables de l’Europe et du Japon nous ont déjà laissé très peu de ressources. Mais immédiatement après ça, on se trouvait dans une guerre civile où on n’a même pas eu le choix de son camp parce qu’à ce temps-là, pour beaucoup de gens, rejoindre une armée, d’un côté ou de de l’autre, signifiait ne plus avoir faim et, paradoxalement, avoir une meilleure vie. Par conséquent, on s’est tourné le dos, on s’est détestés et on s’est tués, et on est donc devenus les victimes des politiciens. Il faut dire que le côté où on était pendant la guerre a eu un impact durable, même longtemps après ça. C’était une erreur politique, comme on dit en Chine, et comme le parti communiste a obtenu le pouvoir, on n’a pas envie d’avoir combattu du côté de Kuomintang. Mais c’était évidemment hors de question pour tout ceux qui n’ont jamais de choix.
Enfin on a obtenu la paix, mais pas pour longtemps parce que, moins de vingt ans après, la célèbre révolution culturelle a eu lieu. Pendant dix ans, elle a réussi encore une fois à diviser la population et à éliminer toute la confiance entre les gens. En gros, le gouvernement central a choisi de résoudre les conflits au sein du parti et d’étendre et de solidifier son règne en provoquant tout le monde, en particulier les jeunes, à l’aider en moyen de la propagande et du lavage de cerveau. En s’appuyant sur les citoyens ordinaires, le gouvernement est arrivé à mettre en oeuvre une surveillance massive et effrayante sans avoir de système central. Dix ans après, il y a de nombreuses séquelles dans la culture, la science, la démocratie, mais surtout dans la confiance. Après avoir assisté à toutes les trahisons entre les familles et les amis, c’était pratiquement impossible de faire confiance à qui que ce soit.
D’après l’opinion publique, la misère en Chine s’est terminée après la révolution culturelle il y a 40 ans. Grâce à la grande réforme économique qui a suivi, on est enfin entrés dans la modernité. Et à quelle vitesse on roule ! C’est tout simplement le jour et la nuit. Des fois, je me demande si on a avancé trop vite alors que nous n’étions pas prêts pour tous ce succès et toutes ces richesses. Face à cette meilleure vie, au lieu d’en profiter, on est devenus gloutons et on a envie de plus. Psychologiquement, on est habitués à croire que tout pourrait disparaître et donc qu’on ne pourrait jamais en avoir trop. En plus, les inégalités ont augmenté. Pour encourager le développement (et se séparer de l’ancien dirigeant), la nouvelle administration a promu certaines idéologies capitalistes, par exemples qu’il est bon de devenir riche et qu’il faut laisser certaines personnes s’enrichir d’abord pour qu’elles y amènent d’autres plus tard. En fait, je crois que c’était la bonne approche à l’époque mais le problème c’est qu’on n’est pas altruistes : ceux qui sont devenus riches avant d’autres continuaient à se concentrer au lieu d’aider des autres. Donc aujourd’hui, on a plus d’inégalités que jamais et encore moins de confiance entre nous.
Voici pourquoi, à mon avis, on manque beaucoup de confiance dans la société chinoise. D’où cette question: comment aborder le problème ? La réponse n’est pas du tout plus de surveillance.
Le crédit social proposé est un système assez habile parce que ce n’est pas simplement une surveillance traditionnelle où on punit ceux qui ont tort, ce à quoi tous les Chinois sont habitués. Par contre, le système promet également de récompenser ceux qui se comportent bien pour tirer parti du consumérisme rampant et de la difficulté de grimper l’échelle sociale. Donc, ça promet d’être efficace. Mais par quels moyens ? Encore une fois, le gouvernement nous traite comme des machines qui répondent bien aux incitations et punitions, et crée pratiquement mais superficiellement « une société harmonieuse ».
La vraie solution, à mon avis, c’est de réduire les inégalités par le biais du revenu de base. Beaucoup d’études comme celle-là montrent que les inégalités sont corrélées aux problèmes sociaux, et pour éliminer les inégalités, la méthode la plus efficace est d’établir un revenu de base pour tout. En fait, on a déjà une version de ce revenu en place en Chine mais juste pour les pauvres. Selon cet article, le programme a en effet réduit les inégalités mais seulement dans une mesure modeste. En plus, comme il y a beaucoup d’évaluation et, encore, de surveillance pour s’assurer que les bénéficiaires sont en fait en dessous du seuil de pauvreté, qui à son tour crée des tensions dans la société. Néanmoins c’est certainement un bon début.
Mais pourquoi le gouvernement a-t-il décidé d’établir un nouveau programme de crédit social au lieu d’améliorer et d’élargir celui du revenu de base ? Parce que le vrai objectif n’est pas de renforcer la confiance mais de consolider le règne pour suivre plus efficacement les activités publiques et privées des citoyens. Autant dire que je suis déçu mais pas surpris par ça.